Face à la difficulté de collecter, comparer, analyser et valider les données préalables à la restauration, ce projet vise à mobiliser divers champs disciplinaires (l’architecture, la conservation, la mécanique, l’informatique) afin de définir un prototype de chaîne de traitement de l’information (incluant données métriques et spatiales, analyses des surfaces, modèles géométriques des structures, sources documentaires hétérogènes, etc.).
Le projet MONUMENTUM réunit six préoccupations distinctes au sein d’une approche intégrée :
Acquisition et fusion des données. Cette action concerne la définition de méthodes pour la mise en correspondance géométrique de plusieurs acquisitions (lasergrammétrie, photogrammétrie, images UV, thermographie, prélèvements, etc.) et dans plusieurs états temporels, en vue de l’élaboration de supports d’analyse multicouches des surfaces et de la reconstruction géométrique des structures. Ce problème nécessite la maîtrise d’aspects techniques pointus ainsi que d’une réflexion importante sur les pratiques et sur les méthodologies de documentation et d’étude mises en place par les spécialistes du patrimoine afin d’identifier des «protocoles», simples à appliquer, et répondant clairement aux besoins reliés à l’exigence de connaître et de décrire l’état de conservation des objets d’étude (et non pas seulement de les numériser en 3D).
Construction d’un thesaurus du domaine patrimonial. La représentation numérique du patrimoine bâti passe par la gestion de données hétérogènes et de natures différentes : des modèles numériques 3D des structures seront combinés avec des représentations iconographiques 2D des surfaces et associés à des modèles de calcul mécanique. La gestion de données hétérogènes est facilitée par l’utilisation de modèles sémantiques décrivant les différents éléments des modèles à un niveau abstrait. Ces modèles sémantiques, appelés ontologies, décrivent explicitement les connaissances d’un domaine à la fois d’un point de vue terminologique (par des termes) et logique (par une axiomatique définissant les entités du domaine et leurs propriétés). Le projet propose donc la construction d’une ontologie décrivant, dans un premier temps, la description sémantique des structures, des surfaces, ainsi que des matériaux des éléments de bâtiments, et dans un deuxieme temps, les connaissances liées à leur dégradation de façon à permettre de reconstituer l’évolution des bâtiments dans le temps.
Modélisation et structuration sémantique de la morphologie de l’édifice. Dans le domaine du patrimoine construit, la maîtrise des données spatiales (l’exploration des concepts géométriques interprétables, des critères et des démarches principales de structuration de l’information) est le préliminaire indispensable à toutes actions d’analyse et de diagnostic pour la conservation de l’ouvrage. En ce qui concerne la morphologie des ouvrages, il est alors nécessaire de passer des données brutes6 de relevé à un modèle 3D « intelligible » au travers de la définition des aspects sémantiques caractérisant l’ouvrage, des relations topologiques et paramétriques entre ses éléments, et de leur géométrie. Dans ce sens, il faut donc développer des outils d’aide au relevé 3D (spécifiques à l’analyse des éléments dimensionnels et de leurs relations réciproques), et des outils 2D d’annotations sémantiques multicouches sur les aspects visuels caractérisant les surfaces (avec le support de sources 2D spatialisées métriques, radiométriques, thermographiques, etc.). Leur caractérisation sémantique s’appuie sur les ontologies définies à partir du thesaurus du domaine patrimonial.
Modélisation et analyse du comportement. Le modèle structuré issu du réel doit être enrichi par la définition du modèle de comportement des éléments constitutifs, des paramètres matériaux, des conditions aux limites et de l’état initial. La caractérisation de la structure de l’ouvrage doit permettre une modélisation globale (ne faisant apparaître que les principaux éléments de structure : voiles, diaphragmes, voutes, etc.) et locale (décrivant l’appareillage, les joints entre pierres, etc.). Des calculs statiques ou évolutifs doivent être effectués sur le modèle 3D à diverses échelles. Des résultats expérimentaux ainsi que l’analyse des surfaces sont des éléments important pour caractériser l’état initial de la structure et valider ces modèles utilisés. En ce qui concerne la caractérisation des surfaces, l’ensemble de sources iconographiques 2D spatialisées (métriques, radiométriques, thermographiques, etc.) doit devenir le support privilégié pour effectuer des annotations sémantiques multicouches sur les aspects visuels caractérisant les surfaces du monument.
Outils d’analyse et d’aide à la décision. La corrélation des données collectées in situ, des données d’analyse et des données expérimentales doit être explorée pour mettre en oeuvre des outils d’analyse, de diagnostic, de prise de décision et de suivi temporel spécifiques aux domaines d’expertise, afin de mieux diriger les actions de surveillance, de prévention, de restauration et de protection de l’ouvrage. En ce qui concerne ces outils d’aide, en effet, la mise en corrélation des données permet d’optimiser les procédures d’analyse et de diagnostic effectuées par les experts. De plus, la visualisation interactive des résultats d’analyse, souvent complexes, permet de faciliter le processus cognitif de compréhension et de renforcer les prises de décision stratégiques. Enfin, la définition d’outils de suivi dans le temps se révèle capitale avant d’engager des planifications de restauration. Ici, l’annotation sémantique effectuée à divers moments temporels (directement reliée à l’ontologie de domaine) sur des sources hétérogènes reliées à la maquette numérique 3D permettra de gérer l’historique des évolutions et de fournir des indications sur les progressions des détériorations et des modifications de la morphologie ou de la surface (vidéo 1 et vidéo 2).
Expérimentation et validation. Différents terrains d’expérimentation, choisis en fonction de l’exigence d’isoler un ensemble représentatif de phénomènes de dégradation et de configurations d’acquisition des données, permettront d’inscrire les réflexions méthodologiques (et les développements informatiques) en relation directe avec les modes opératoires des spécialistes de la conservation. Autour de ces sites historiques (sur lesquels les partenaires du consortium possèdent déjà des nombreuses données et analyses), diverses opérations d’expérimentation et de validation des méthodes et outils développés au sein du projet seront mises en place. Les opérations d’expérimentation permettront de tester, par des expériences répétées, la validité d’une hypothèse, et d’obtenir des données quantitatives permettant de l’affiner. D’autre part, la validation du processus sera effectuée au travers de la définition d’actions de prévention, restauration et protection de l’ouvrage. De plus, la phase de surveillance se révèlera essentielle pour la prévention du bâtiment et constituera un point d’appui pour la connaissance de l’évolution au niveau de ses surfaces (ex : pathologies de dégradation) et de sa morphologie (ex : changements structuraux en fonction d’aspects statiques).
Le coeur de cette démarche repose sur la mise en relation et sur le contrôle de données (2D/3D) collectées pour l’analyse, le diagnostic, la prévention et la restauration du patrimoine bâti. Cette collecte de données concerne différents niveaux d’étude : l’appareillage, les éléments constitutifs (blocs, joints) et les surfaces. Si la maquette numérique 3D structurée devient le support pour relier, manipuler et visualiser ces données variées, plusieurs échelles de représentation nécessitent d’être explorées et validées afin que l’ensemble de données soit interprétable tout le long du processus.
Afin de collecter et relier entre elles toutes ces données hétérogènes, la plate-forme NUBES7 a été utilisée. NUBES est un projet de recherche qui porte sur la définition d’un système d’information à l’échelle architecturale. Il combine les relations entre la représentation 3D du bâtiment (forme, dimensions, état de conservation, restitution hypothétique de ses transformations dans le temps) et les informations hétérogènes provenant de différents domaines (technique, documentaire, historique) afin d’organiser des représentations multiples (et les informations associées) autour d’un modèle de description sémantique.
NUBES consiste en une application web open source basée sur une architecture en trois parties. D’un point de vue technique, ce système vise à répondre à trois exigences distinctes :
- Stockage de données hétérogènes. Une base de données MySQL est utilisée pour organiser les données brutes de l’enquête, les différentes représentations et les informations associées, en fonction de différents profils d’utilisateurs.
- Manipulation en temps réel des représentations 3D géométriques. Une scène 3D interactive développée avec Virtools Dev est utilisée pour télécharger, afficher et manipuler des représentations 3D.
- Accès en ligne et gestion des données. L’application est basée sur un site Web qui offre aux utilisateurs un accès aux données stockées. Il fournit également les liens nécessaires à l’interaction
entre la scène 3D et la base de données.
Pour donner un exemple, la restauration des fresques nécessite l’observation directe des surfaces par les spécialistes ainsi que l’acquisition et la spatialisation (assez précise) d’énormes quantités de données hétérogènes (cartographies, prélèvements, analyses chimiques, sources historiques, thermographies, images UV, etc.). La possibilité de conduire les observations des surfaces et la collecte des données en se servant de dispositifs de visualisation/spatialisation intégrant à l’observation du réel l’information (graphique, textuelle, etc.) collectée et analysée est alors un enjeu particulièrement intéressant pour ce domaine.